Friday

better city, better life

shanghai, 2:00 am

quand je suis arrivé, je pensais que j'écrirais, chaque soir, mes péripéties de la journée passée sur un joli petit carnet rouge, puis que je les recopierais du carnet sur mon ordinateur, et que je les posterais sur internet, somehow (eastcoasts n'existait pas encore, alors).
en fait, j'ai été beaucoup plus paresseux que prévu. le fait que je fasse des trucs concrets de mes journées est déjà un gros gros point positif pour que je m'octroie bien le droit de m'avachir devant le madden nfl de mon coloc du colorado ou de regarder par petits bouts un film mal doublé. néanmoins, ça commençait à me peser sérieusement, le fait de ne garder aucune trace écrite, et de ne pas développer tout ce que j'avais dévoré de curiosité pendant la journée. tu sais, ce genre de remords que tu as quand tu ne veux pas faire un truc qui n'est pas obligatoire, mais qui serait bien quand même, surtout quand tu l'entends avec la voix de ta mère. finalement, je me suis dit que j'allais faire l'adolescent cliché, et que j'irai seul dans ce club de jazz des années trente pour boire du whisky et enfin inaugurer mon moleskine en faisant comme si j'étais inspiré. le truc, c'est que mon côté fais-toi-plein-de-potes-à-shanghai a fait en sorte que mon coloc allemand qui écoute de l'électro à longueur de journée vienne avec moi, donc je me suis retrouvé sans mes pensées, et avec une conversation à gérer, dans ce club.
une fois assis au bar, dans une ambiance très cosy, low lights, velvet chairs and art nouveau, cernés par des expats qui ramenaient leur conquête chinoise pour la soirée, j'ai rencontré un type. gros, barbu, toussotant, il a dit bien aimer mes cheveux, et il m'a appelé 'brother'. dans une ville où on ne prononce pas correctement mon nom, c'est assez jouissif. en fin de compte, il s'est avéré, en plus d'être complètement bourré, être le lead guitar du groupe résident ET le patron du club. ce mec a tout compris. toujours est-il que, d'une manière ou d'une autre, il m'a demandé si j'écrivais mes pensées dans un journal, chaque jour, et qu'il faut vraiment le faire parce que ça peut parfois changer la manière dont on voit les choses. alors, je ne suis pas d'accord sur le fait que ça puisse changer quoi que ce soit, mais je lui ai promis que je ferai ça ce soir. t'as vu, j'suis un type bien.

parlons de la ville, en général. le premier truc qui m'a frappé, c'est qu'aucune chanson ne va avec cette putain de forêt en béton. je veux dire, je peux assimiler the smiths à lille en automne, vampire weekend à bordeaux en juin, biolay à paris en février, mais il n'y a rien qui corresponde à shanghai. un jour, il y pleut à torrents, et le ciel et jaune, et les voitures sont bruyantes, et ça sent la bouffe dans chaque recoin d'avenue, et personne ne te laisse descendre du métro quand t'as des valises, et il fait chaud, et on te dit qu'on ne parle pas anglais, et on te poursuit pour te vendre un ipad, et on ne fait même pas attention à toi quand tu prends des photos, et la pollution rend tout plus chiant plus chaud et la gorge te pique quand tu fumes une clope. le lendemain, il fait bon, il y a du vent, des jolies chinoises qui te toisent dans la rue, le contrôleur du bus prend de tes nouvelles, et les nuages vont vite dans le ciel bleu, et les criquets te bercent dans le century park, et les poubelles ne sentent pas, et les taxis ne t'enculent pas, et tes jambes te portent jusqu'à pudong, et les portes des magasins t'offrent tout l'air conditionné qu'ils ont, jusque dans la rue, et on ne te prend pas pour un imbécile quand tu commandes tes nouilles. et puis il y a la nuit, qui n'est jamais tout à fait la même, ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend, avec le repos de tous, les rires gras dans des restaurants suintant le baijiu, et les cigarettes fumées par les portiers à l'intérieur de résidences vides, et les chinois qui font comme si les européens n'étaient pas les rois du monde, et ces filles bien mal habillées qui cherchent quelqu'un parce que sinon c'est mal vu par la famille, et ces types en tongs qui rient parce qu'ils ne font pas attention à tout ça, et la petite vendeuse qui s'endort dans sa supérette, et les retours à la maison, près de la rivière, sous le pont alexandre III.
c'est la ville où tu ne trouves jamais vraiment ce que tu veux, les musées sont fermés, mal indiqués, trop loins, pas intéressants, mais en contrepartie, on t'offre le coin de la rue avec les scènes de la vie quotidienne qui ont fait rêvé les écrivains de tout poil et qui sont mortes de lassitude en europe, on t'offre une vue bien plus jolie, avec des nénuphars, des oiseaux et du tai chi, on t'offre les marchés couverts qui puent la merde et qui vendent de la porcelaine à la taille des moineaux, on t'offre tout ce que tes yeux peuvent engloutir, du moment que tu gardes le sourire.

un guide touristique ne sert pas à grand chose, en fait, dans la ville de fais-ce-qu'il-te-plaît.

3 comments:

  1. Superbe article, ce blog commence fort

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  2. J'acquiesce complètement sur le côté "un jour noir un jour blanc" de cette ville. Continue comme ça !

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