Thursday

Le diable s'habille en Quetchua

New York, 03h57 AM

Cela va bientôt faire deux mois que je suis ici.
Un mois et vingt-sept jours plus exactement, que je vis dans la Grosse Pomme. Je reviens du cinéma, je voulais voir un film de gosses, parce que je suis une gosse au fond, mais il était en 3D, et je déteste la 3D, donc j'ai vu une comédie romantique alors que je déteste les comédies romantiques.

C'est un peu un truc de personne bien installée dans une ville, que d'aller au cinéma après le travail, mais à ma décharge, je vais toujours au cinéma sur Times Square. Pour me rappeler que je suis à New York, et pour ne pas tomber dans le métro-boulot-dodo. Les lumières, les écrans, les odeurs, la bouffe, les asian qui proposent des caricatures, la chaleur, les étudiants qui brandissent leurs cartons de comedy club, les magasins qui t'offrent un peu d'air climatisé, les portes grandes ouvertes, les bras tendus, les cops, les touristes, le M géant de McDonald's, les taxis jaunes, les vélo taxis, et les lumières, à droite, à gauche, en haut, en bas.
Ca grouille de partout, je proteste un peu contre la marée humaine en marchant sur la route, à mes risques et périls évidemment.
J'aime cet endroit, même si j'en reviens toujours lessivée, le cerveau retourné, mais au milieu de tout ça, je me sens vivante, et je me sens presque appartenir à quelque chose.
On croit tout avoir lu, vu et entendu sur cette ville quand on arrive ici. Gossip Girl, King Kong, Annie Hall, Breakfast at Tiffany's, American Psycho, Franck Sinatra, The Velvet Underground, Jay-Z, tout ça tout ça. Pourtant, la ville se présente sous de nouveaux aspects tous les jours, et à chaque instant je découvre une nouvelle facette de la ville.

Ca fait deux mois que je suis là. En lisant Vadim et Pierre, fraîchement arrivés, je me dis que je suis complètement partie à l'arrache. J'ai un peu fui au milieu de la nuit en taxi avec ma valise et mon sac quetchua. Mes parents n'étaient pas là, encore moins mes frères, donc pas d'anecdote de frère (j'ai pas de soeur) qui chouine en me voyant partir à l'aéroport avec la grosse dame de la Lufthansa qui ne comprend pas pourquoi je n'ai pas besoin de formulaire ESTA (J'ai un visa idiote). Non, personne à l'aéroport, juste ma meilleure amie, à 5 heures du matin, qui me dit à dans un an hein, amuse toi bien, j'essaierai de venir c'est sur, tu vas me manquer voila, devant la borne des taxis. Le mec dans le taxi, quand il eut fini de gueuler contre sa radio, m'a demandé si je faisais une fugue, j'ai dû donc lui faire la causette, non je pars un an à l'étranger, oui aux Etats-Unis, à New-York. Vous n'avez pas peur ? Non pas tellement.

Je n'ai pas eu le temps d'avoir peur, de me triturer l'esprit, de me dire oh mince où est-ce que je vais vivre, Mastercard ou Visa, quel temps fait-il, oh machin va me manquer dis donc, et si je me fais pas de copains, etc. Je me suis retrouvée parachutée ici comme dans un rêve. OK, la petite excitation du départ était là, quand j'ai fait ma valise à deux heures du matin, quatre heures avant mon vol, mais l'idée de l'année à l'étranger demeurait jusqu'aujourd'hui une idée assez intangible.

En sortant du cinéma, malgré la chaleur étouffante, j'ai parcouru la 5ème avenue, de la 42ème rue à la 14ème, je suis passée devant l'Empire State Building - qui est moche, un peu - et le Flatiron - qui est lui, l'un de mes bâtiments favoris ici - j'ai commencé à me rendre compte que je n'étais pas en vacances, mais bien en plein dans mon année à l'étranger, celle dont nous avons tant parlé ces deux dernières années.
J'ai rejoint Le métro sur 1st avenue pour rentrer à Hipsterland, Brooklyn. J'ai dû affronter le petit passage vide pour aller à l'autre bout de la plateforme. Je sais qu'il y a des rats à cet endroit, ils sortent par dessous la petite porte, à la moindre activité humaine, alors j'ai toujours peur de passer devant cette porte. Quand je rassemble enfin mon courage et me décide à passer en courant presque, un mec décide de réveiller les rats en sautant comme un demeuré (les méfaits des drogues et de l'alcool). Un rat sort, dévale sa portion de plateforme, finit sur les rails, et disparaît.
Hum.
Je suis pétrifiée comme d'habitude (mais j'ai retenu tout geste ou cri étrange), le métro arrive, je saute dedans, sans penser à ce qu'il a pu arriver au rat. Bien fait pour toi sale rat.
Dans la rame, je m'assois à côté d'une fille un peu amochée qui me montre son '' nouvel ami rose qui vibre '' au bout de trois minutes de voyage. Intéressant. A ma gauche, un mec lit Virginia Woolf, The Years, et celui en face de moi lit Mexico news qui titre '' decapitan a mujer policia ''. Tout un programme.
Un mec joue Lady Gaga avec sa flute à bec, c'est la deuxième fois que je le croise, je sais déjà qu'après Alejandro, il va nous faire Hotel room de Pitbull, enchainera sur Hit the Road Jack de Ray Charles, et conclura sur la chanson des Yankees. Tout le monde applaudira comme la dernière fois, et ça me mettra de bonne humeur comme la dernière fois.
Tout le monde a applaudi.

Je viens de tuer ce moustique qui me cherche depuis 45 minutes. Ma coloc ne serait pas fière de moi.


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