Sunday

james joyce versus the world

le 5, à 22h25

ok, on attaque les choses sérieuses, les vrais articles intéressants sur ce qu'est la vie, la vraie, à shanghai. ça fait depuis le premier jour que j'ai ce post en tête, parce que, même quand j'ai débarqué à l'aurore, au beau milieu de la ville (renmin guang chang a.k.a. la place du peuple, c'est un peu comme times sq, mais en plus grand, avec un parc au milieu), il y avait des gens dans la rue. je veux dire, ils étaient vraiment dans la rue, c'était leur destination finale, ils n'avaient pas de but particulier, sauf celle d'un bout de muret libre où ils pourraient s'asseoir, et attendre. c'est dingue parce que, si moi je fais ça, c'est pour m'imprégner de la ville et humer ses saveurs et toutes ces foutaises, mais eux n'ont rien à découvrir, ils ne font rien, ils attendent, ils ne fument même pas de clope, il fait trop chaud, c'est magnifique à voir.

pour te re-situer un peu par rapport au titre, je me suis dit en partant de france qu'il fallait que j'emporte un bouquin qui allait me tenir longtemps, parce que j'aime de moins en moins lire en anglais et qu'il y a NO WAY pour que je bouffe de la propagande chinoise (quoique, lu xun dans le texte, ça en boucherait un coin à pas mal de chauffeurs de taxi), donc j'ai pris ulysse, parce que le relire me permettrait vraiment de bien tout saisir, et parce que ce bouquin est vraiment fabuleux. la principale chose que j'ai saisie la première fois que je suis tombé dedans c'est que, pour joyce, la vie se passe dans la rue, les protagonistes s'y rencontrent, y discutent, s'y promènent et la dominent complètement, sa rue dans son dublin à lui, c'est un espace qui appartient à tout le monde, qui n'est pas sale, qui n'est pas dangereux, et qui n'attend que d'être habité. alors, même si ce dublin a disparu, remplacé par une station de vacances pour les touristes étudiants de l'europe continentale, il y a toujours la chine, avec ses habitants qui ne s'embarrassent pas de prétextes nuls pour glander en regardant passer des hommes pressés et des flics crevés et des balayeurs qui balaient leurs pensées. on ne va pas rester chez soi si on peut lire un bouquin sur les marches d'une galerie commerciale, on ne va pas épeler les pommes de terre dans son arrière boutique quand on peut le faire en discutant avec la mignonne qui tient le salon de massage, et chacun sait qu'il est ridicule de jouer au mah-jong dans son salon avec ses amis quand on peut s'installer sous une autoroute.
voilà, ils sont là, dans la rue, passent leur vie à voir les autres, à interagir avec ce qui les entoure, à attendre de se lasser, ou de se remettre à travailler, ou de se rendormir. et puis ils regardent passer les occidentaux, parce que c'est rare, et que les occidentaux ne sont pas dans la rue, pas dans les bus, pas dans les métros. ils sont dans leurs duplex, dans des taxis et dans des boîtes avec de la musique forte. je développerai sur les expatriés, la nouvelle lie de l'humanité, plus tard, pour faire honneur à la merde qu'ils cachent sous leurs chemises déboutonnées, mais je tiens vraiment à te faire comprendre ça, tu vois. on a beau saisir parfaitement la perte du truc (appelle ça l'authenticité, la vibe, l'atmosphère, ce que tu veux, t'es une grande personne, hein) qui faisait que vivre en occident, c'était cool, et qu'on pouvait checker ses potes dans la rue sans à avoir à les checker sur foursquare cinq minutes avant, il a fallu qu'on aille aux quatre coins du monde, et qu'on montre à tout ce qui n'est pas caucasien à quel point on était forts pour ce qui est de ne pas apprécier ici et maintenant. dédicace pour l'étudiant de l'em lyon qui, hier, dans un club au 24° étage d'un bâtiment de pudong, alors qu'un serveur tout petit et tout chauve, comme le bonze le plus sage du monde, lui resservait un whisky coca, cet étudiant qui me disait que, faut pas déconner, paris est quand même bien plus belle que shanghai. ouais, mais shanghai, eux l'habitent, et toi tu te pavanes de ton appartement à ton taf à ton appartement à ton restau à ton bar à l'appartement de ta copine asiat, à la boîte en bas de chez elle à ton appartement.

les habitants de shanghai n'en ont pas tellement besoin, la nuit ils dorment parce qu'ils font des trucs biens le jour. cette idée qu'on a encore du we own the night, c'est un peu notre seul repaire, notre dernier bastion, une fois qu'ils se mettront à se promener dans les rues à deux heures du matin, avec leurs vieux marcels sales et leurs pensées que je ne connaîtrai jamais, on aura perdu la partie.

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