Monday

Faux et usage de faux

4:59 PM - écrit samedi matin, 4 AM - New York

J'ai officiellement une fake ID. Une vraie Fake Id, une carte d'étudiante d'école de commerce, avec ma photo, plastifiée, tout ça tout ça. Jusque là, j'avais la photocopie de l'ID d'une amie née en 88, et les mecs devant les bars et autres clubs de live music me lançaient des regards genre '' non mais c'est un bout de papier, à d'autres ma petite '.
Je me mettais alors à sortir un laïus prémaché, en surjouant un peu l'accent français, non mais c'est parce que si je perds ma véritable carte d'identité et bien je pourrai pas rentrer en France, c'est pour ça que j'ai qu'une photocopie, allez, sois sympa je suis une pauvre jeune fille de 19 ans qui veut juste rentrer dans ce fichu bar et écouter un peu de musique, en plus je ne bois pas, c'est vraiment n'importe quoi ce pays, mais allez, s'il te plaît, si tu veux on discutera un peu quand je sortirai prendre l'air. Tu me laisses passer, oh thank you so much, have a great night too, amuse toi bien à recaler les gens.

Etre underage aux Etats-Unis est un frein social. J'ai dû renoncer à pas mal de soirées et de concerts à cause de ça, des deux ans qui me manquaient pour exister aux yeux de la loi américaine, mais là, grace à ce bout de plastique, je vais pouvoir mettre les pieds dans ce bar en bas de chez moi qui me fait tant envie, entre autres. Voila, je suis désormais étudiante dans une obscure école de commerce française, et je suis née le 19 décembre 1988. Hum.
Tout est un peu contradictoire dans ce pays; c'est un peu comme l'histoire de l'alcool sur la voie publique. C'est interdit, mais on s'en fout si c'est caché dans un sac en papier. Sauf que bon, puisque t'as un sac en papier, on sait pertinemment que tu bois de l'alcool. On emballe pas sa bouteille quand on boit du Sprite sur la voie publique. Logique.

J'ai enfin acquis ma fake ID, lors d'une soirée vendredi chez un mec de sciences po. Ça ressemblait vaguement à la soirée avec Vadim et Pierre quand ils étaient là, mais sans Vadim et Pierre, et avec moins de monde.
A leur place, deux américains qui se jettent un peu sur moi parce qu'ils savent qu'on se fait la bise, ils veulent apparemment leur part de french culture. Puis d'autres filles, qui se trémoussent sur du Rihanna. Enfin elles '' grindent '' donc elles se trémoussent sur du Rihanna comme Rihanna, habillées comme Rihanna. Quand elle met son cul en arrière et qu'elle bouge ses hanches. Qu'elle porte une sorte de legging géant avec un imprimé très Keith Haring en guise de pantalon. Donc ça ressemble plus à de l'éveil musculaire qu'à de la danse.

Je m'accroche à ma bouteille de Diet coke parce que je ne suis pas très à l'aise, et un mec me charrie doucement, genre ''haha, tu bois du coca ? T'as des examens médicaux demain ?''; je lui lance un regard mauvais parce qu'il commence à me souler, d'autant plus qu'il se met à détailler toute sa généalogie, 70% irlandais, 20% native, 10% afro,et regarde dubitativement mes mocassins genre sale meuf qui exploite mon peuple de la réserve de minnetonka. On les abandonne quand ils sautent dans un taxi, les filles veulent continuer à se dandiner (si on peut appeler ça se dandiner), mais avec un plus large public, donc direction le métro pour moi.

J'oscille entre l'amour et la haine du métro ici, il y fait 20°C de plus qu'à la surface, des rats partout, et c'est toujours l'occasion d'un choc thermique parce que les wagons sont sur-climatisés. Mais j'aime bien la voix de la fille qui annonce l'arrivée du métro, et celle du mec qui dit de faire attention parce que les portes se ferment. Il s'y passe toujours quelque chose. Cette fois, station 42nd, A.C.E train, des renois prennent des photos d'elles. Elles ont certainement passé la soirée dans ce club sur Times Square, où on peut bruncher le midi, voir Al Green jouer à 19 heures, se croire dans un clip de Dirty South à partir de 22h.
Elles développent les poses, aguicheuses. La croupe en évidence, vas-y que je me cambre au max, que je rentre, sans succès, le ventre, bombe le torse, que je plisse les yeux et prépare ma duck face. Oh, tiens, si je levais la jambe sur la rambarde, ça mettra en avant mon postérieur qui dépasse légèrement de mon slim deux tailles trop petit.

J'ai dû les regarder avec trop d'insistance, car le mec avec elles me demande de garder un oeil sur leurs sacs. Clic clac, clic clac, elles enchainent les poses lascivo-vulgaires en pouffant et lachant des petits cris. Ces filles seront certainement des mamas d'Harlem dans quelques années, tout en ayant les tics des pouffiasses américaines type Abercrombie. Celles qui disent OHMAAGAD toute la journée, qui lâchent des yays et autres petits cris aigus à longueur de journée.

Ils m'ont demandé de les prendre en photos tous ensemble, le mec a pris une pose de PIMP avec sa New Era argentée, les filles se sont collées à lui, il m'a proposé un cookie pour me remercier, mais j'avais pas très faim parce que j'ai mangé une slice dans la meilleure pizza place de la ville, à deux minutes de chez moi. Ils font meme des pizzas aux macaronis, pas dégueulasses du tout.
Une fois dans le métro ils ont continué à prendre des photos, comprenez le potentiel offert par une barre et une rame presque vide. En voilà une qui se lance dans un numéro de pole dance assez ridicule. Je change sur 8 ave, ils me disent Goodbye be safe lalala, je saute dans le L train, et là, la population change, un couple avec des fixies, un mec avec une barbe étonnamment longue et des lunettes de Derrick. Un mec décide de me dédier une chanson, il entonne Eleanor Rigby.
C'est gentil, même si je ne me sens pas bien, parce qu'il me transperce du regard en chantant all the lonely people. Il en fait une autre, Norvegian Wood, il aime bien les Beatles apparemment. Je vois qu'il a quelques billets dans sa guitare, je pense à lui filer un petit $ parce que c'était bien, quand même, mais je n'ai pas de billets sur moi, je me sens un peu con du coup, et il s'en va en souriant, pendant que je descends à Lorimer St, rejoindre mon appart au dessus du Italiano Center of New York.

Mon coloc est rentré du Japon, et de nouveaux hipsters dorment sur le canapé. Celui qui câline son Iphone est de retour. J'ai un peu marché sur tout le monde en rentrant, mais ils avaient l'air contents de me voir. Ma coloc les a virés le lendemain matin, les pauvres.

3 comments:

  1. >>réserve du minnetonka
    >>minnetonka
    >>tonka

    putain, tonka vaillant est la meilleure histoire du monde.

    >>ils font des pizzas aux macaronis

    ce sont des coquillettes, jeune fille #nazidespates

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  2. J'ai quand même hésité deux minutes, dieu sait que je HAIS les coquillettes, mais les pâtes étaient plus larges et plus épaisses. Puis sur une pizza, mon seuil de tolérance diffère. Je serai la fille la plus heureuse du monde le jour où ils feront la pizza aux penne. #nazidespates

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  3. Une amie née en 88, et bah! La jeunesse de nos jours...

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